Transparence 1
Fred Forest Paris le 6 mai 1996
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TRANSPARENCE OU OPACITE : DANS QUEL MONDE VIVONS-NOUS DECIDEMENT ?
APPEL AUX ARTISTES CITOYENS !
TRANSPARENCE OU OPACITE ?
Tous les jours, de part et d'autre d'une ligne politique de plus en plus difficile à définir, on nous rebat les oreilles de la démocratie et de ses valeurs fondamentales. Les gouvernants, les opposants, les syndicats, les églises de toutes espèces, n'ont que le seul mot de transparence à la bouche. Et, pourtant, nous vivons le règne triomphant de l'opacité la plus épaisse. Le consensus est total dans le faux-semblant, l'hypocrisie et la langue de bois. On fait comme si. Chacun s'enfonce toujours un peu plus dans le confort de sa bonne conscience, et personne n'est là pour s'inquiéter, pour s'indigner, ou pour se révolter. Personne n'est là, pour dire que le roi est nu. Mais où sont donc passés les artistes, dont c'est pourtant la mission fondamentale, précisément, de pointer du doigt, dans une société donnée, les travers, les injustices, les manquements à la parole, les dérives, de celle-ci ? Les artistes ne seraient-ils plus, pour leur plus large majorité, que des décorateurs, des amuseurs publics, des boutiquiers aux visées corporatistes, des chasseurs de subvention et des individualistes forcenés, égoïstes et nombrilistes ?
TRANPARENCE OU OPACITE ?
Non, nous refusons de le croire, et la meilleure preuve, c'est déjà celle de la réalisation effective de ces "1ères Rencontres nationales des artistes plasticiens", dont l'initiative ne revient qu'aux artistes eux-mêmes, et non, bien sûr, à la décision d'une quelconque administration culturelle. En ce sens, cette manifestation est " historique ". Après plus de vingt ans de silence, les artistes décident de prendre leur propre destin en main, et ce fait n'est pas anodin. Cela montre, tout au moins, qu'avec le remplacement d'une génération par une autre, les mentalités évoluent et que tous les espoirs sont encore à nouveau permis.
Encore faut-il que les artistes saisissent cette occasion. Une opportunité qu'ils se sont créés de toute pièce, non pas pour investir leur énergie sur des questions mineures, relevant de préoccupations d'ordre corporatiste et d'avantages de détail à arracher, au coup par coup, aux institutions, mais sur les problèmes citoyens, éthiques et artistiques, fondamentaux, qui sont les seuls susceptibles de légitimer leur droit à se prévaloir du nom d'artiste !
TRANSPARENCE OU OPACITE
Il faut donc saisir cette occasion pour aller à l'essentiel, et non pas prendre en charge un travail qu'il revient de faire aux administrations culturelles, elles-mêmes, qui sont payées pour cela.
TRANSPARENCE OU OPACITE
C'est bien beau de vouloir changer la société (ou de prétendre vouloir le faire…) c'est plus raisonnable et plus honnête que chacun commence par balayer devant sa porte...Comme chacun sait, depuis toujours, les artistes sont obligés dans un esprit de compétition et de concurrence entre eux, de se conformer aux volontés des pouvoirs en place, de ruser avec eux, pour se voir concéder, éventuellement un jour, la place qu'on veut bien leur assigner. Un enclos bien gardé, dont ils n'auront surtout pas l'impudence (l'imprudence) de vouloir transgresser les limites. en mettant leur nez, là où il n'y a rien à faire.
TRANSPARENCE OU OPACITE
C'est bien beau de vouloir changer la société (ou de prétendre vouloir le faire…) c'est plus raisonnable et honnête que chacun commence par balayer devant sa porte.
Comment le citoyen français, les artistes les premiers, peuvent-ils accepter, entre autres, que des établissements publics culturels (les musées, les centres d'art contemporain, les Frac, les Drac et autres établissements d'espèce) refusent, en 2003, sous le ciel de notre douce France, de communiquer le montant de leurs acquisitions à ceux-là mêmes qui, citoyens, en sont les premiers bailleurs de fonds ?
On croirait rêver. Personne ne dit mot. Personne ne dénonce haut et fort cette aberration, cette énormité. C'est bien pourtant de l'argent public dont il s'agit. De l'argent sur lequel tout citoyen en vrai régime démocratique (tout au moins sur le papier) peut légitimement avoir une information, sinon un contrôle ? Mais cette opacité, qui est en quelque sorte l'avanie d'une culture du secret qui prédomine dans notre pays, ne recouvre pas seulement des questions financières. Cette culture du secret et cette opacité concernent également, toutes les informations relatives aux nominations aux postes de responsabilités, les conditions de concours de recrutement dans les école d'art, l'attribution des bourses etc. Dans ces domaines, il est de notoriété publique que c'est le copinage et le système des réseaux relationnels politico-mondains qui font la loi.
TRANSPARENCE OU OPACITE
Dans d'autres milieux que ceux de l'art, on retrouve (l'homme est l'homme hélas !) des fonctionnements de complaisance, de favoritisme, de népotisme, voire carrément de comportements mafieux. Des tromperies sur les personnes, les biens et les marchandises.
Certes, de semblables pratiques se retrouvent aussi bien dans les milieux de l'industrie, des entreprises, de la politique, et encore ailleurs…Mais le milieu de l'art est beaucoup plus fragile et exposé à de telles dérives, pour la simple raison que les valeurs qu'il promeut et impose, souvent par les artifices, les manipulations du marché et du marketing, avec la complicité passive ou active des musées d'art contemporain, sont le résultat de discours intellectuels. Des discours qui n'ont aucun substrat tangible réel. Le prix de vente d'un aspirateur, par exemple, se justifie et se vérifie, plus ou moins, par l'addition de la matière première utilisée, les frais des brevets déposés, la main d'œuvre et les frais de transport et de commercialisation.
Le prix d'une œuvre d'art (surtout pour l'art contemporain où le savoir-faire n'est plus un véritable critère) est d'ordre purement subjectif. L'attribution est octroyée arbitrairement par le système de l'art lui-même
(marché + caution muséale + publicité + discours du critique).
TRANSPARENCE OU OPACITE
En matière d'art, l'Etat est tout puissant en France, puisque c'est lui qui effectue 40% des achats en art contemporain, et que les collectionneurs privés ont un rôle mineur, a contrario de ce qui se passe, par exemple, en Suisse ou en Belgique, sans parler des Etats-Unis. Cette situation place nos institutions publiques dans une position dominante et, de ce fait, leur contrôle ne devrait par conséquent qu'en être encore plus rigoureux.
Et voilà ce que François Barré nous déclare, tout de go, sur la coursive du 2ème étage, en sa qualité, à l'époque, de Président du Centre Georges Pompidou : " Nous ne te donnerons jamais les prix, cela risquerait de déstabiliser le marché !" François Barré, grand commis de l'Etat, personnage au-dessus de tout soupçon, qui a rejoint, comme chacun sait, le privé, pour mettre ses talents et ses relations, au service du grand capital, de la culture et de la… démocratie
TRANSPARENCE OU OPACITE
Si, comme c'est le cas, aucun critère objectif n'est plus en mesure de valider le prix d'une œuvre d'art (le prix se déterminant en quelque sorte à la tête du client et par les manipulations du marché…) et que de surcroît (c'est cela qui est capital !) les prix ne sont pas communiqués au citoyen, pour qu'un contrôle minimum puisse s'exercer, nous sommes alors en situation de constater que n'ayant pas de compte à rendre, les responsables de commission d'achat peuvent à leur gré surpayer ou sous-payer des acquisitions en toute liberté (impunité)
TRANSPARENCE OU OPACITE
La question de la transparence, et depuis un certain nombre d'années, la question fondamentale qui se pose pour le fonctionnement des institutions culturelles en France. À son propos la justice a été saisie, les ministres successifs de la culture également, le Premier ministre alerté personnellement, ainsi que les Présidents des commissions culturelles de l'Assemblée nationale et du Sénat. Toutes ces démarches sont hélas ! restées sans réponse et, surtout, sans résultat. Cela est inconcevable.
Cela est inconcevable dans une démocratie. S'agit-il de laxisme, de prudence politique ou de position dominante des lobbies, pour que la puissance publique reste ainsi tétanisée, et la démocratie bafouée ? Toujours est-il que c'est dans ce contexte que s'appréhende la décision du Conseil d'Etat du 15 janvier 1997. Décision sur laquelle nous nous garderons bien de porter un jugement quelconque, mais qui laisse à chacun, dans le secret de ses pensées, la liberté de penser ce qu'il en veut, et qui finalement sera très édifiant ! (http://www.fredforest.org)
TRANSPARENCE OU OPACITE
Il est grand temps que la question de la transparence soit donc portée devant l'opinion publique, et que les journalistes, eux aussi, fassent leur travail d'information. Ces " 1ères Rencontres Nationale des Artistes Plasticiens " doivent jouer un rôle de catalyseur en matière d'art. Elles doivent en revenir aux questions essentielles, permettant aux artistes, et à d'autres personnes, citoyennes, de se rencontrer, d'échanger sur ces graves dysfonctionnements, en vue de se réunir, pour dénoncer, combattre et restaurer la fonction symbolique et sociale qui est celle de l'artiste et de l'art.
Fred Forest, référent et animateur de l'atelier et du forum sur la "transparence des institutions culturelles publiques", qui se tiendront dans le cadre des " 1ères Rencontres nationales des arts plastiques " les 17, 18, 19, 20 septembre 2003, dans la Grand Halle de la Villette
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