(*Mouche du vinaigre)
Vous pensez, peut-être, que j'exagère encore ? Si peu, hélas.
Ainsi, chez Christie's New York, vient d'être mise en vente, le 17 novembre 2000, lot 415, une œuvre d'un certain Tom Friedman, intitulée " Fly " 1995,
(en couverture du catalogue et en publicité dans la presse) qui n'est que la simple reproduction, en plastique et divers matériaux, d'une mouche, de taille réelle (0,6x1,3x1,9cm) = adjugée 88 125 $ ttc (675 000 frs) sur une estimation loufoque de 40/60 000 $; la même se vend, chez n'importe quel marchand de " farces et attrapes ", à 2 $ l'unité!
Et toujours chez Christie's New York, le 16 novembre 2000, que penser du lot : Charles Ray " MaIe Mannequin " 1990, (en dos de couverture) qui représente, comme son titre l'indique, un grotesque mannequin d'homme nu ( avec tous ses " attributs virils "), grandeur nature (187x69x47cm), fabriqué en fibre de verre et édité à trois exemplaires = adjugé 2 206 000 $ ttc (16 900 000 frs ) sur une estimation déjà faramineuse de 700/900 000 $; abstraction faite des exemplaires d'artiste, cela porte à six millions de dollars l'exemplaire unique ( le prix d'une fabrique de mannequins)!
Quant au lot 24, de la même vente: Felix Gonzalez-Torres " Blood " 1992, ( en couverture du catalogue) qui n'est qu'un banal rideau de perles en plastique, rouges et transparentes = adjugé 1 656 000 $ ttc ( 12 500 000 fts) sur une estimation peu modeste de 400/600 000 $; un rideau de perles de culture serait moins onéreux, d'où l'expression populaire: " se faire enfiler des perles ", en beauté!
Une autre œuvre du même artiste " Lover Boys " 1991, consistant en un gros tas de bonbons, lot 13, chez Sotheby's New York le 14 novembre 2000 = adjugé 456 750 $ ttc ( 3 500 000 frs ) sur une estimation fantasque de 300/400 000 $ ; ce qui tait un peu cher le kilo de friandises
En quoi ce tas de bonbons serait-il plus original et plus précieux que les multiples " tas " créés, bien avant par d'autres célèbres artistes: tas d'ordures (Arman J, tas de graisse (]oseph Beuys) , tas de charbon ( Bernar Venet), tas de ferraille (John Chamberlain ou César), tas d'oeufs ou de moules (Marcel BroodthaersJ, tas de pierres (Richard Long), tas de pollen (Wolfgang Laib ... )
Que dire (the last but not the least), du lot 7 de la vente du 14 novembre 2000, chez Phillips New York: Damien Hirst " Dead ends Died out Examined"1993 qui consiste en une grande vitrine de mégots de cigarettes
(bout filtre) = adjugé 508 500 $ ttc (3 900 000 frs) sur une estimation fumeuse de 300/400 000 $; prix prohibitif pour les non fumeurs, car les fumeurs ont la faculté de conserver à moindre frais, leurs propres mégots!
Le plus scandaleux ce n'est pas tant les montants exorbitants des prix de ces œuvres, après tout chacun est libre de dépenser son argent comme il l'entend (argent vite gagné, aussi vite dépensé)
Le plus révoltant c'est que ces " Marketing men " prétendent pour justifier des estimations et des enchères si élevées, nous démontrer que ces œuvres sont le " nec plus ultra " de l'avant-garde contemporaine
Car, loin d'être l'exemple d'une grande originalité et d'une créativité révolutionnaire, ces œuvres sont bien au contraire, d'un maniérisme outrancier, d'un conformisme désuet, d'un manque total d'originalité; les œuvres susvisées sont du déjà vu, du " " échauffé ", du " ressassé "!
La minuscule " mouche " de Tom Friedman est un sujet qui a été exploité par de nombreux artistes, dès la Renaissance (dans les natures mortes, les vanités ou les " trompe l'œil " J, pour ensuite la retrouver chez les Surréalistes (Dali), puis le Pop Art (Martial Raysse) et j'en passe.
Rien de plus classique, donc, comme thème; où se trouve alors le caractère novateur d'une œuvre aussi dérisoire, d'un artiste Si peu connu du marché, qui justifie, lors de sa première mise en vente aux enchères, une telle promotion dans la presse et une estimation si élevée?
L'indécent " mannequin d'homme " de Charles Ray n'est qu'une variante des personnages nus hyperréalistes créés, dans les années 70, par Duane Hanson et John de Andrea qui, pour l'époque, étaient bien plus audacieux! un tel plagiat et l'infime nuance du procédé d'empreinte du sexe de l'artiste justifient-t-ils que la copie coûte dix fois plus cher que l'original ? (les œuvres de Hanson et Andrea se vendent au mieux, 200 000 $.
Le " rideau de perles" en plastique ordinaire de Felix Gonzalez-Jorres (objet usuel dans les maisons des pays chauds), n'est rien d'autre qu'un vulgaire " ready made ", dont le concept est on ne peut plus éculé depuis Marcel Duchamp; ce n'est donc absolument pas une création originale, au sens propre du terme, malgré tout le discours pseudo philosophique et intellectuel qui prétend justifier la particularité de cette œuvre.
Quant aux " mégots " de Damien Hirst l'idée a été tellement utilisée (avec ou sans cendrier), depuis les années 60 ( cf les Nouveaux Réalistes) qu'il n'est guère opportun de " consumer "pareillement ses économies pour celle-ci.
Le plus grave ce n'est pas tant que pour certains " décideurs " l'argent n'ait plus de valeur mais que, par extension, la créativité artistique n'en ait plus également.
Pour eux, l'art ne se mesure plus à l'aune du talent des créateurs mais à celui du prix, totalement virtuel, des œuvres " d'art" sur un marché qui n'a rien à envier, par ses méthodes de fixation brutales et contestables, à celui de la Bourse ou du "Show-Business"
On promeut dorénavant un jeune artiste de la même manière qu'un chanteur de variété, un produit de consommation courante ou une " start-up " à coup de millions de dollars de publicités tapageuses et de bluffs grossièrement organisés!
Lorsque Charles Saatchi déclare, sans ambages, dans une récente interview au New York Times : " 90 % des œuvres d'art que j'achète n'auront sans doute plus aucune valeur " on mesure le degré de cynisme avec lequel il soutient financièrement de jeunes artistes anglo-saxons, dont il a parfaitement conscience que la majorité d'entre eux n'ont aucun talent…
Dirions nous de même, nous les vrais Amateurs, des grands artistes que nous avons défendu (bec et ongles) et soutenons toujours? : Picasso, Malevitch, Mondrian, Bacon, Pollock, de Kooning, Klein, Rauschenberg, Warhol, Beuys, Dubuffet, Twombly, Basquiat...
Pour ces " apprentis sorciers ", le contenant doit l'emporter sur le contenu, la forme sur le fond, la matière sur l'esprit le factice sur le concret l'éphémère sur le durable, la mode sur la modernité, le mensonge sur la vérité, et la fin (l'argent) doit justifier les moyens (les manipulations).
Ce que ces business men semblent ignorer, faute de culture, c'est que, dans aucune Civilisation digne de ce nom, le génie artistique n'a jamais pu se fabriquer avec de l'argent!
L'argent doit être au service du génie créateur et non l'inverse; l'argent n'a de valeur que par rapport à ce que l'on en fait.
Tous ceux qui ont enfreint ces règles fondamentales se sont tôt ou tard, du fait de leur aveuglement et de leur orgueil démesuré, retrouvés ruinés, non seulement matériellement mais surtout spirituellement car ils ont irrémédiablement perdu toute crédibilité aux yeux de l'opinion publique pour avoir abusé de sa crédulité.
Ce n'est pas parce que ces nouveaux collectionneurs sont de jeunes " snobs enrichis " béotiens qu'il faut par mépris, les tromper ou les laisser se tromper pareillement en les gavant " d'ersatz artistiques ", et en ne tentant rien pour les cultiver et éduquer leur œil afin d'en faire, durablement de vrais Amateurs d'Art; ce qui serait bien plus profitable pour l'ensemble du marché de l'art
Pour jauger objectivement l'importance de ces jeunes artistes il faut s'interroger prioritairement: Si leurs oeuvres n'existaient pas, l'Histoire de ~Art en serait-elle foncièrement perturbée? la réponse est sans conteste, négative!
Car, ce qui différencie essentiellement cette génération d'artistes des années 90 de leurs célèbres prédécesseurs, c'est que ces derniers créaient principalement pour se révolter contre le " Système ", d'où la force créative et l'importance historique de leur œuvre " révolutionnaire et subversive ", alors que la jeune génération ne sait " fabriquer " que pour flatter un certain marché réservé à de très riches " petits bourgeois ", d'où la mièvrerie et le maniérisme de ses " fabrications" !
A QUAND LA VENTE D'UNE " CHIURE> DE MOUCHE?
Cette spéculation hasardeuse sur " l'art contemporain " n'a rien à envier, par son absurdité, à celle du XVIIIe siècle, aux Pays-bas, sur le " bulbe de tulipe " qui, à l'époque, avait atteint la valeur insensée d'une maison, pour s'effondrer brutalement et entraîner le pays tout entier dans un chaos financier.
Espérons qu'il n'en soit pas de même, à terme, pour le marché de l'art comme lors de la toute récente crise de 1990, que beaucoup semblent hélas, avoir déjà oublié pour ne pas savoir en tirer les leçons de prudence pour l'avenir!
" Vanitas vanitatum, et omnia vanitas " (Vanité des vanités, et tout est vanité).
Richard Rodriguez (20 Novembre 2000 )
1 $ = 7,65 frs