L'opinion de peintres et de critiques sur Edouard Manet (1832-1883)

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Retour à l'accueil sur l'histoire de l'art impertinente / Manet : Ces fameux Salons / Déjeuner sur l'herbe, la maladresse grivoise. / Y-a-t-il eu scandale pour Olympia? / Analyse sous un point de vue picturale : Le corrigé de l'Olympia de Manet.(6) / le Christ mort aux anges de Manet.(5) / L'opinion de Monet, Cézanne, Courbet,... sur Manet Surprenant ! / Zola CONTRE Manet, Monet et les impressionnistes Une lucidité tardive / Manipulations sur Le combat du "Kearsarge" et de "l'Alabama" (5) / Mon opinion sur sa production

Résumé des avis ci-dessous

- Les avis des peintres sont de manière modérée négatifs. Pour l'instant, je n'ai trouvé qu'un seul avis positif sur Manet d'un peintre (Ernest Duez) mais sur uniquement un tableau. Même Monet s'y met !

- Pour les littéraires, en dehors de Zola (et encore pas toujours, voir Zola CONTRE Manet,.. ) et de l'appui de Baudelaire, les avis sont globalement négatifs. Quelques avis positifs dont celui de Marius Chaumelin qui émet un avis réellement positif (mis en rouge) mais pas sur la partie principale du tableau.

 

Interprétation

Des peintres sensés être modernes pour l'époque ne sont pas convaincus de l'apport de Manet et donc de sa modernité !

Ceci pose un problème de cohérence. Dire que c'étaient tous des jaloux est peu crédible vue la cohérence de tous les avis. Dire qu'ils n'ont pas compris la modernité de Manet est aussi difficile à avaler surtout de la part de Monet, Cézanne, Degas qui n'avaient aucun intérêt à critiquer Manet. L'interprétation la plus simple est la meilleure : tous ces avis correspondent à la réalité du parcours artistique de Manet. Il faut cependant tempérer le caractère excessif des propos des critiques dans un sens ou l'autre. Manet a été globalement un peintre très moyen par rapport à de nombreux peintres connus de l'époque.

Seuls des littéraires au nom prestigieux (Baudelaire, Zola) ont défendu Manet...

Il est ainsi plus important d'avoir des relations dans le monde littéraire que de savoir peindre en contrôlant son travail... C'est triste pour les peintres. Mais à l'heure actuelle, les règles du jeu ont (encore) changé.

L'opinion de peintres

Monet

Le 22 ou 24 mai 1867, Manet ouvre une exposition particulière dans un baraquement construit à ses frais (15 000 francs selon Zola. Manet devra 18 300 francs cette année là) . Monet portera un jugement mitigé : "... La femme rose, c'est mauvais, il a fait mieux qu'il ne fait en ce moment..."

Sur la même exposition, Monet explique à Bazille : "Quand je suis parti, les recettes de Manet commençaient à devenir plus sérieuses, à lui cela fait grand bien, et puis il y a des choses bien que je ne connaissait pas". Ce deuxième avis de Monet est plus nuancé mais il indique que Manet est parti de bas.

Monet fera campagne en 1889 pour que l'Olympia de Manet entre au Louvre. (Mais étrangement, Zola ne participera pas à la souscription.)

Courbet

Courbet se moquera des "anges au tombeau du Christ" de Manet.

Il dira également de l'Olympia "On dirait la reine de pique sortant du bain"!

Cézanne

En 1878, Cézanne aurait répondu à Zola qui le conseillait de regarder du côte de manet pour faire un tableau :
"Ton Manet, il a inventé l'image d'Episnal !".

"Bien sûr il y a dans l'Olympia, une vérité picturale des choses", mais d'une certaine façon, la toile comme la femme nous laisse sur notre faim. Elle nous fait regretter les nus plantureux de Courbet, traités d'une manière "épaisse, saine, vivante". Et si l'on compare Le déjeuner sur l'herbe au concert champêtre, force est de constater que manque à Manet "un frisson de cette noblesse qui, chez le vénitien" emparadise tous les sens".

Degas

En 1897, Degas se fait lire les souvenir d'Antonin Proust (Impressionnisme. Les origines. P 120) qui érige Manet en fondateur de l'impressionnisme. Degas explose aux quelques lignes qui faisait du déjeuner sur l'herbe le premier tableau de plein air "...Il n'y a jamais pensé qu'après avoir vu les premiers tableaux de Monet. Il n'a jamais pu qu'imiter...."

Degas proclamera sur le tard son admiration pour le Manet des années 1860 et son "magnifique jus de pruneaux" mais un auteur du livre sur les origines 1859-1869 ajoutera que Degas connaissait mal les tableaux de cette époque de son aîné.

Couture ( tiré du livre le journal de l'impressionnisme)

Manet a été élève chez le peintre Couture pendant 6 ans. En dehors de l'atelier, il fait une de ces premières toiles "le buveur d'absinthe". Manet invite Couture à venir la voir. Son ancien maître lui dit "Mon ami, il n'y a ici qu'un buveur d'absinthe. C'est le peintre qui a fait cette insanité ! "

Odilon Redon (peintre critique)

En 1868, le jeune Odilon Redon reproche au "portrait d'Emile Zola" son manque de vie morale, de vie intérieure. Il dira aussi que les impressionnistes étaient "bas du plafond".

Ernest Duez (peintre)

Vers 1890, Duez commente le tableau La lecture 1865, repris vers 1873-1875 :" C'est adorable. C'est une des plus jolies manifestations de Manet"

Remarquons que Manet a autour de 41-43 ans lorsqu'il le termine.

Randon (caricaturiste)

En 1867, Randon est le seul à remarquer le tableau Fruits( Nature morte avec melon et pêches) et légende "Je ne me connais guère en melons, mais il me semble que celui-ci n'est pas de première qualité"

Breton (peintre 1827-1906)

"J'ai peine à croire que la postérité reconnaisse un précurseur en Manet, mais bien plutôt un élève médiocre de Goya, de Vélasquez, et plus tard des japonais".

Salvador Dali (peintre du XXème siècle)

"...Ca se gâte ..."

Un avis très modéré de Dali : il ne nous avait pas habitué à tant de modération si l'on compare avec ses opinions sur Cézanne et Matisse.

L'opinion des critiques de l'époque

Marius Chaumelin

"M. Manet a fait le portrait d'un "balcon" et d'un "déjeuner". Il raille gentiment le premier et sa balustrade fraîchement peinte de vert pour poser devant le portraitiste et ne mentionne le deuxième que pour les objets inanimés entourant la figure centrale. ... (ces objets) Tout cela est peint de maître avec une justesse de tons et une largeur de touche tout à fait extraordinaires".

A propos du portrait de Zola au Salon de 1868 , il fera une bonne critique dans La Presse.

Georges Clemenceau (homme politique, critique d'art et de littérature)

"Mon portrait par manet ? Très mauvais, je ne l'ai pas et cela ne me peine pas. Il est au Louvre, je me demande pourquoi on l'y a mis".
Liés aux frères de Manet et ami de Monet, Clemenceau avait apporté un appui décisif pour l'entrée de l'Olympia de Manet au Louvre en 1907.

Duranty (romancier)

En 1870 Duranty (après un duel avec Manet !) consacre dans "Paris-journal" une critique élogieuse pour Manet. Difficile de s'y retrouver.

Théophile Gautier (écrivain)

Il manifeste son enthousiasme dans le Moniteur pour le chanteur espagnol ou le Guitarrero (autour de 1861): "Caramba !..."

En 1866, il éreintera le tableau Jeune dame en 1866 (La femme au perroquet) après avoir eu des indulgence pour le tableau de son confrère Zola.

Huysman (romancier)

En 1879, il fait un article élogieux dans le "Voltaire"

Trente ans après le tableau de 1862 "La musique aux tuileries" où Manet fayotte en représentant des personnalité de l'époque ( Zacharie Astruc, Baudelaire, Théophile Gautier, Champfleury,...) , Huysman dira "Détestable", "pompier", gonflée de "prétentions au neuf", maladroite et académique dans sa description de la foule.

 

Paul Mantz (historien d'art)

Paul Mantz qui gardait un excellent souvenir de l'espagnol jouant de la guitare au salon de 1861, désigne la chanteuse des rues de 1862 comme l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire : " ...lutte criarde de tons plâtreux avec des tons noirs."

En 1863, dans la Gazette des Beaux-Arts, pour La musique aux tuileries, Le ballet espagnol ou Lola de Valence :"bariolage","caricature de la couleur", "pas sain".

Paul de Saint Victor

En 1863, lorsque le "concert aux tuileries" sera exposé, il écrivit " Le concert aux Tuileries écorche les yeux comme la musique des foires fait saigner l'oreille".

Arthur Stevens (marchand de tableaux qui signe J. Graham)

A propos de Mlle V. en costume d'espada 1862, il écrira que Manet a indiscutablement un tempérament mais qu'il n'a pas les moyens de ce qu'il ambitionne.

Tabarant (écrivain, historien de la revolution)

Il dira à propos du "concert aux tuileries": "la toile séduisit peu les amis à qui Manet la montra, Baudelaire tout le premier".

Théophile Thoré (avocat puis critique)

A propos de Mlle V. en costume d'espada 1862, Thoré regrette l'absence de nuances , l'illogisme dans l'établissement de la gamme des tons.

En 1865, Théophile Thoré est agacé des copies routinières de modèles anciens :

"Il ne paraît pas que Manet veuille être pris pour un routinier de l'art pensif ; néanmoins ayant eu la malheureuse idée de peindre un Christ dans le prétoire, bon ! voilà que cet original copie jusqu'à la célèbre composition de Van Dick ! L'autre année, faisant un sujet espagnol qu'il n'avait jamais vu, bon ! voilà qu'il copiait le Vélasquez de la Galerie Pourtalès !" (il ne parle pas à propos de l'Olympia, de la référence à la vénus d'Urbin car comme beaucoup d'autres ne s'est pas rendu compte de la ressemblance)

En 1866, Thoré :"... Manet se débat encore contre cette difficulté extrême de la peinture, qui est de finir certaines parties d'un tableau pour donner à l'ensemble sa valeur effective. Mais on peut prédire qu'il aura tous les succès comme tous les persécutés du salon."
A propos du portrait de Zola au Salon de 1868, il fera une bonne critique dans L'Impedance Belge.

P. Véron

En 1876, P. Véron épingle un signe particulier du peintre Carolus-Duran (1838-1917) : "Carolus aime Manet, presque au point de l'admirer. Comme repoussoir sans doute. Cette admiration ne nous en paraît pas moins imprudente. Car les défauts de Manet ont parfois bien l'air de vouloir être la parodie des qualités de son admirateur."

Albert Wolff (journaliste, critique littéraire)

En 1870 devant le portrait d'Eva Gonzalès, "il ose faire un tel monstre d'une créature humaine !" ( Le Figaro 13 mai 1870, P.2)

L'avis de critiques à propos de Les anges au tombeau du Christ 1864

Auguste-Joseph Du Pays dans l'illustration écrira que Manet manie un pinceau trempé dans l'encre et, maladroit, le laisse tomber à tout moment, éclaboussant la toile. Saint-Victor ironise sur le "Christ à la cave, soutenu par les deux ramoneurs ailés". Théophile Gautier qui reconnaît cependant les "vrais qualités de peintre" de Manet, écrira ".. à des teintes crasseuses, à des ombres sales et noires dont jamais la résurrection ne le débarbouillera...". Hector de Callias (journaliste) souligne une caractéristique à ses yeux choquant, qui est la stridence soudaine des ailes azur dans un ensemble de blancs et de noirs. Théophile Thoré (avocat puis critique) se moquera gentiment de ces ailes très coloriés.

L'avis de critiques à propos du portrait de Zola, Salon de 1868
Critiques mauvaises pour Le Petit Journal, La Gazette des Beux-Arts, Le Nain-jaune. Bonne pour Thore (L'Impedance Belge), Marius Chaumelin (La Presse) et Castagnary.

  

Bibliographie

Journal de l'impressionnisme , Maria et Godfrey Blunden, traduit de l'anglais, Editions d'Art Albert Skira S.A. Genève, 1973

Manet de Georges Bataille, Editions d'Art Albert Skira S.A. Genève, 1983

Impressionnisme. Les origines, 1859-1869, Réunion des Musées Nationaux, 1994. Presque toutes les citations sont tirées de ce livre.

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