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Ô " Concept "



Depuis que Jean-Pascal est entré à l’Académie Supérieur d’Art Pictural, sa foi en l’A-Art ne l’a pas quitté.

Autrefois, il s’enhardissait encore à quelques dessins et même à quelques essais de coloriage mais depuis, les éminents professeurs pour lesquels il éprouve un profond respect, l’ont remis sur la bonne voie, la seule: celle de l’Unique Esthétique Contemporaine.

Grâce à eux, J-P est à la page et suit sans défaillir la doctrine sacrée du Concept.

J-P ne se sent pas encore prêt pour se déclarer artiste. Il lui faut pour cela attendre encore dans l’humilité et la Rédemption.

Il en porte toutefois, mais sans prétention, les vêtements et la coiffure qui sont définis par les lois immuables de la mode.

Chaque jour J-P se consacre pieusement à la lecture de la presse de l’A-Art où sont représentés les oeuvres des Grands, ceux qui sont l’Exemple et la Vérité. Ceux qui produisent en concordance avec les règles qui remontent jusqu’au fond des âges du XXème siècle dont l’urinoir inversé en est le symbole sacramental.

Après la lecture et l’enseignement de la théorie, J-P passe de longues heures en méditation, assis sur une chaise devant un objet quelconque.

Son sens et sa beauté n’ont pas d’importance bien que son aspect doit pouvoir s’intégrer dans sa contemporainité. On fera le vide dans la pièce et la méditation se tournera autour de sa possibilité de statu et de sa mise en contexte.

Le statut est l’ oeuvre du sculpteur. "

Ce soir, Jean-Pascal se rendra à un Vernissage. Un événement pour lequel il revêtira tous ses atours et surveillera son comportement et sa façon de parler. Il imitera la voix, utilisera les mêmes mots et copiera la manière de se tenir debout des initiés.

L’ Exposition s’appelait PEINTURE et regroupait trois maîtres absolus: Kossuth, Beuys et Christo. Elle avait lieu à la galerie Ver Meert, dont le directeur du même nom était en fait un prêtre de Judd ...

Le coeur de J-P avait de fortes raisons de battre lorsqu’il s’approchait de la porte en verre froid à travers laquelle il ressentait déjà l’ambiance.

Il entra dans le vestibule. Il salua l’ami d’une personne qu’il avait déjà vue mais celui-ci ne le remarqua point. Il salua de même une autre personne dont il ignorait le nom et la fonction mais à qui il avait déjà dit une phrase auparavant. Celle-ci au moins répondit par un distrait bonjours tout en continuant sa discussion avec quelqu’un de probablement important.

Un de ses professeur était là . Il voulu le saluer de loin mais comme il fit mine de ne pas l’apercevoir, il n’osa pas insister.

Le monde présent était fort impressionnant. Il paraîtrait même qu’il y avait là un collectionneur qui possédait un Andy Wharol !

Durant l’Exhibition, on servait des choses à boire et même à manger. mais J-P ne se servait qu’avec parcimonie.

Jusqu’ici il n’avait pénétré que dans le hall. A présent il se dirigea, frémissant, vers la salle où les oeuvres étaient exposées.

La première qu’il vit fut un projet d’une oeuvre imaginaire de Christo, complétée par quelques phrases de sa propre écriture, ainsi qu’une relique d’échafaudage sur un socle blanc. A cette vue J-P tomba à genoux et dit:

Ô Christo, Ô Christo, Ô Christo! Toi qui emballe les Eglises! Laisses moi être le disciple de tes apôtres ! Permets-moi d’évoquer la puissance de ton génie! Tes Oeuvres emballeront le monde et toutes les merveilles de l’Univers seront recouvertes par ta gloire!   " Il baisa le sol puis se retira à reculons en faisant trois génuflexions les mains jointes.

Il se dirigea alors ,les mains moites et tremblantes, devant le Kossuth.

Arrivé devant ,il s’agenouilla face contre terre, puis relevant la tête il lu les caractères inscrits sur la stèle qui faisait l’oeuvre. Bien que rédigée en sa propre langue il ne put en comprendre la signification.

Alors il entama cette prière:  " Ô Kossuth ,Ô Kossuth! Ton mystère est immense et restera impénétrable pour les hommes durant les siècles des siècles! Laisse-moi être ton serviteur dévoué et pardonne mois mes fautes d’antan. Tes énigmes m’émerveillent et je me sent honteux de ne pouvoir les résoudre.

Devant l’insoluble de ton Nom, je ne suis même pas digne d’être ! "

Ne résistant plus ,il sortit une paire de ciseaux de sa poche et se coupa des mèches de cheveux en signe d’humiliation. Puis il s’éloignât de la plaque tout en se courbant bien bas à trois reprises.

Il alla donc vers la troisième oeuvre, celle de Beuys : une vitrine contenant une bouteille pleine d’un produit étrange, un carnet fermé ainsi qu’une pile de quatre feuilles de feutre brun, la Matière Sacrée ! Un peu plus loin, il y avait un cadre avec une photographie du Maître Divin en personne.

Terrorisé, J-P se jeta à plat ventre sur le sol. Puis redressant le torse il s’écria: " Ô Beuys! Ô Beuys ! A coté du moindre des objets que ta mains a touché de ton vivant , ma vie n’a point de valeur ! "

A ce moment il déchira sa chemise et ajouta:  " Ô Beuys ! Autorise-moi , je te supplie, d’ être l’esclave de ton culte! "

Comme il était à genoux près d’un de ces pots remplis de sable qui servent de cendrier, il en prit une poignée mêlée de cendre et s’en frotta le crâne.

Ô Beuys ! Ô Beuys ! Je livre mon corps et mon âme entre tes saintes mains! Accorde-moi l’ honneur de servir tes serviteurs... "

Il se mit à réciter une longue lamentation en allemand durant laquelle il se versa le contenu d’un flacon de parfum de marque parisienne sur la tête ...

 

 

Enfin il se retira, en se prosternant et baisant le sol trois fois de suite. Il se releva au milieux des autres adeptes qui n’avaient pas fait attention à lui. Deux de ses collègues de cours étaient arrivés et terminaient à leur tour leurs adorations.

Ils le rejoignirent et partagèrent avec lui leurs éloges sur l’exposition. Ils allèrent tout les trois admirer le Catalogue et restèrent encore quelques minutes sans rien faire ni rien dire.

Personne d’autre qu’eux ne s’était prosterné si ce n’est que deux étudiants d’un autre Institut qui étaient d’ailleurs repartis bien vite.

La plupart des gens ne regardaient même pas les oeuvres et discutaient bruyamment en fumant des cigarillos.

Le galèriste s’efforçait d’attirer l’attention de Quelqu’Un sur l’oeuvre de Kossuth. Il le faisait en s’exprimant en langue anglaise, ce qui impressionna fortement les trois jeunes gens.

Vers vingt heure trente, il quittèrent et rentrèrent chez eux.

 

 

 

Deux ans plus tard , J-P avait même renoncé à toute forme de création pour se consacrer à la Philosophie Pure du Concept.

Et pour enfin se confronter après toutes ces années aux concepts des agences pour l’emplois.



F I N




Texte de Frédéric Hage



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